PARACHAT VAYIGACH 6
Lorsque Yaakov arriva en Egypte, Yossef « le présenta au Pharaon ; et Yaakov rendit hommage à Pharaon (qui l’interrogea) : Quel est le nombre des années de ta vie ? Et Yaakov (lui) répondit : le nombre des années de mes pérégrinations, cent trente ans. Il a été court et malheureux, le temps des années de ma vie, et il ne vaut pas les années de la vie de mes pères, les jours de leurs pérégrinations » (Beréchit XLVII, 8-9).
Les Tossafot (Daat zékénim) citent le Midrach qui rapporte que pour avoir répondu à Pharaon que « le temps des années de (sa) vie … a été court et malheureux », Yaakov fut réprimandé par l’Eternel. « Je t’ai sauvé de Essav et de Lavan, Je t’ai rendu Yossef et Dina, et toi tu te plains : court et malheureux ! » J’en fais le serment, pour avoir prononcé ces mots, ta vie sera raccourcie d’autant. Trente trois mots de plainte lui seront comptés, trente trois ans manqueront à sa vie, et par conséquent, si Yitshak a vécu cent quatre vingt ans, Yaakov n’aura vécu que cent quarante sept.
Le rav Haïm Chmoulévitz zatsal s’étonne : pourquoi le compte des mots, et par suite celui des années, commence-t-il à partir de la question que pose Pharaon et non pas à partir de la réponse malheureuse de Yaakov ? Le Midrach nous rapporte que Pharaon lui posa cette question parce que Yaakov lui paraissait beaucoup plus vieux que son âge attendu, avec ses cheveux et sa barbe très blancs. Le géant Og, qui se tenait au côté du pharaon, se demandait même s’il n’était pas en présence d’Abraham. C‘est que, nous explique le rav Chmoulévitz, Yaakov avait été très affecté par les épreuves qu’il avait rencontrées, et il avait vieilli plus vite que de normal. Aussi l’Eternel lui reprocha-t-Il non seulement ses paroles, mais aussi le ressenti de ses souffrances sur son apparence.
Le Birkat Mordekhaï s’interroge : mais qu’est ce qui est exactement reproché à Yaacov ? Toutes ces épreuves difficiles qu’il dut affronter dans sa vie furent particulièrement marquantes. Certes, l’Eternel le sauva des griffes de Essav et de celles de Lavan, mais Yaakov aura tellement souffert de leur adversité. Nous voyons de là, dit le Rav, qu’un homme de la dimension de Yaakov, qui a pleinement conscience de tous les bienfaits que l’Eternel lui a octroyés, n’aurait pas dû ressentir, avec autant d’acuité, les difficultés inhérentes à toutes les épreuves de la vie, et n’aurait pas dû en être à ce point affecté.
On peut d’ailleurs encore s’interroger ? Certes, Dina et Yossef lui ont été « rendus », mais les effets négatifs (les contrariétés de la tragédie de Dina ou le chagrin prolongé et les années de séparation d’avec Yossef) ont eu leurs effets sur le vieillissement prématuré de Yaakov ! Mais, aurait-il pu ravoir une jeunesse une fois Yossef retrouvé ? Là encore la Torah nous dévoile, par les reproches qui lui sont faits, que Yaakov aurait très bien pu, en quelques jours, recouvrer une joie qui, malgré la couleur de ses cheveux et de sa barbe, l’aurait fait paraitre son vrai âge.
Sur ce verset de Eikha (III, 39) : « Pourquoi donc se plaindrait l’homme sa vie durant, l’homme chargé de péchés ? », le Rav Leib ‘Hasman zatsal rapporte l’explication de Rachi : « Pourquoi l’homme se plaindrait-il des malheurs qui lui arrivent, après que Je lui ai accordé cette grande bonté qu’est la vie ? » L’homme « en vie » se doit tellement d’être redevable à l’Eternel, pour chaque instant d’existence, que toutes les difficultés de ce monde ne peuvent trouver de place chez lui. Et cette joie, que nous procure le bonheur de vivre, nous remplit à tel point que l’empreinte des moments de peine ou de tristesse resterait toujours éphémère.
Chabbat Chalom Oumévorakh