PARACHAT NOA’H

PARACHAT NOA’H

Noa’h avait emmené, dans l’arche, des sarments de vigne et aussi des rameaux de figuier. Après le déluge, en quittant l’arche, s’adonnant désormais à l’agriculture, « Noa’h, d’abord cultivateur planta une vigne. Il but de son vin et s’enivra… » (Béréchit IX, 20).d’abord cultivateur, littéralement : ich ha-adama (homme de la terre), il commença (vaya’hel) par planter une vigne.

 Rachi nous rapporte le Midrach Rabba 36 : le mot « vaya’hel » est à rapprocher du terme « ‘houlin », œuvre profane, pour nous dire que Noa’h s’est « profané » lui-même, car il aurait mieux fait de commencer par planter autre chose, les rameaux de figuiers ou des céréales. Le Midrach Tane’houma (13) rajoute que si jusque là Noa’h était appelé « ich tsadik », homme Juste, devenu « ich ha-adama », après avoir planté cette vigne, il aura perdu ce statut, si important.

Sorti de l’arche, Noa’h se devait de cultiver à nouveau la terre dévastée, en quoi son empressement à planter une vigne était-il critiquable ? Cet homme, sur qui la Torah témoigne qu’il était agréé du Ciel et des hommes, en haut et en bas, dans ce monde ci et dans le monde futur (Midrach Rabba), était-il soupçonnable de vouloir  boire du vin, pour s’enivrer ?

La Guémara (Moëd Katan 20b) nous raconte que lorsque le beau-frère de Mar Oukba est décédé, sa femme et sa belle famille prirent le deuil des chivàa. Mar Oukba pensa que pour l’honneur (le kavod) de sa femme, qui avait perdu son frère, il se devait lui aussi de prendre le deuil. Ce qui est autorisé d’après la Halakha, mais pour le deuil des beaux parents, et en présence de sa femme. Rav Houna vint lui rendre visite et le trouva assis parterre avec les endeuillés. Il lui dit alors : c’est pour manger le « tsoudénayta », ces fameux gâteaux, qui étaient donnés à l’époque aux endeuillés, que tu as pris le deuil de ton beau-frère ? Mar Oukba était le président du Tribunal rabbinique de son époque (moëd katan 16b), peut-on vraiment penser que ses intentions étaient bassement matérielles et que, par simple gourmandise, il aurait pris le statut d’endeuillé ?

Le Saba de Slabodka, zatsal, explique que cette Guémara vient nous apprendre qu’un homme ne mesure pas toujours les motifs profonds de ses décisions. Nos Sages ne viennent pas ici remettre en question la grandeur de Mar Oukba, mais simplement nous inviter à réfléchir constamment sur nos véritables motivations. L’homme étant lui-même son propre juge, il lui est très difficile d’être totalement objectif, et sa subjectivité joue le rôle d’un corrupteur. Comme nous l’enseigne la Torah à maintes reprises, « la corruption trouble la vue des plus grands et fausse la parole des justes » (Chémot XXIII, 8),

Le Rav Yaakov Galinski zatsal, rajoute que nos Sages nous dévoilent, qu’au travers des mots empruntés, la Torah nous révèle que, dans l’esprit de Noa’h, il y avait aussi une envie de vin. Une envie insoupçonnée de lui-même, mais qui rabaissera son niveau spirituel et le ramènera au niveau, de la matérialité, au niveau de l’homme de la terre.

C’est aussi ce que dit le Sifri (rapporté par Rachi Chémot XXXV, 27) à propos des Néssiim : les princes, qui étaient les premiers à apporter leurs dons pour l’inauguration de l’Autel, alors qu’ils ne l’avaient pas été pour l’inauguration du Michkan, du Tabernacle. C’est qu’ils avaient raisonné comme suit : que « tout le monde apporte sa contribution et nous, nous compléterons ce qui manquera ». Mais le peuple d’Israël apporta tout ce qu’il fallait et il ne restait plus rien à amener pour les Nessiim, (ils apportèrent alors les pierres de choam). Voila pourquoi, lors de l’inauguration de l’Autel,  ils se dépêchèrent et furent les premiers à apporter leurs dons. Toutefois comme ils avaient manqué de zèle, la première fois, il manque à leur nom une lettre, le Yod, et le mot Néssiim est ici écrit avec un Yod en moins. Il est évident que leur intention première était bonne et pourtant on leur reproche d’avoir été en quelque sorte « paresseux » !

C’est que la Torah demande à l’homme de bien analyser ses motivations, afin de réfléchir sur les mobiles profonds, peu louables, qui peuvent interférer dans les plus simples décisions, et altérer de fait la spiritualité de ses présumées bonnes actions.

Chabbat Chalom